Pendant le jubilé du Puy en Velay en 2005, mon mari et moi-même sommes invités par Monseigneur Brincard, Évêque du Puy en Velay, à un repas-débat avec le Cardinal Jean-Marie Lustiger.
Les convives sont très nombreux, une centaine et de milieux divers. Nous nous étions présentés au Cardinal Lustiger à l’apéritif et nous avions refait connaissance parce qu’il avait visité notre Paroisse en tant qu’Evêque à Orléans.
A ce repas, il est proposé aux invités de poser des questions, la réponse étant apportée par le Cardinal.
Dans ce genre de réunion et devant ce parterre d’érudits, je ne me mêle jamais de la discussion, préférant écouter la richesse des échanges.
La catéchèse est abordée, je sens à l’intérieur de moi-même un bouillonnement exceptionnel et je réalise que l’Esprit Saint désire que j’intervienne sur ce sujet qui me passionne. Mais j’ai tellement peur que je résiste. Alors, Il insiste tellement que mes dernières défenses sautent.
Et je demande à mon mari d’indiquer à notre Évêque que je désire poser une question. Monseigneur Brincard présente ma requête au Cardinal Lustiger. Donc, je prends le micro et j’annonce malgré ma peur avec une grande audace que je vais poser deux questions en forme de témoignages. Je suis tellement émue que je ne sais plus comment on s’adresse à un Cardinal ! J’obéis à l’Esprit Saint, mais je suis tétanisée.
Et je témoigne qu’une Mère de famille décède le jour de la Fête des Mères. Ses enfants ont leurs camarades dans le Collège où je fais de la Catéchèse. Les professeurs ne les autorisent pas à se rendre à l’enterrement le mardi suivant. Mais ils me les confient. Les Collégiens se sont installés dans la Chapelle avant mon arrivée et personne ne m’a prévenue.
Je me présente à la Chapelle à 15h15 pour l’Adoration Eucharistique et je vois les filles d’un côté, les garçons de l’autre. Les filles pleurent, les garçons se retiennent.
Quand je leur demande pourquoi, ils me confient :
« nous n’avons pas le droit de pleurer ».
Je leur explique que c’est faux. Tout être humain a le droit de pleurer, de crier sa révolte car les larmes libèrent.
Deux filles de mon groupe de Catéchisme (TRP = temps de réflexion et de partage) sont révoltées. Tous le sont, mais celles-là plus particulièrement : « C’est Dieu qui a fait mourir cette maman », me dit l’une. Je suis complètement démunie face à cette révolte légitime.
Fait exceptionnel, je n’ai pas ma Bible, ni mon chapelet, ni des textes de prière, je n’ai rien. Je suis pauvre comme Job et je n’ai que ma voix pour prier Dieu.
J’implore le Seigneur pour qu’Il m’aide à trouver les mots justes et j’ouvre le Tabernacle pour qu’Il guide Lui-même ces jeunes. Jésus se sert de moi.
Les adolescents crient leurs révoltes, leurs douleurs devant cette mort absurde, une rupture d’anévrisme au moment où elle recevait ses cadeaux de fête des Mères.
« Amélie (le prénom a été changé), non, Dieu n’a pas fait mourir cette maman ». Puis, j’explique la maladie, la mort, je sens que la vive tension s’apaise.
De l’absurdité de la mort de cette Mère, ils vont passer à leurs problèmes personnels. Alors, j’essaye de répondre, je prie toujours le Seigneur de m’inspirer.
D’habitude, il y a une autre Catéchiste, oblate aussi, plus âgée ayant plus d’expérience, et une Sœur Dominicaine.
Mais ce jour-là, Jésus a voulu que je sois toute seule avec ces Jeunes et avec Lui. Quelle confiance de Sa part !
Comme je n’ai pas mon chapelet, j’envisage de compter sur mes doigts, une Jeune l’ayant proposé. Mais elle le sort triomphante de son sac, ce chapelet que j’avais rapporté de Lourdes et offert à mon équipe.
La fin est beaucoup plus joyeuse que le début. Je suis restée avec ces Jeunes deux heures, je n’ai pas vu le temps passer.
Aussi, je m’attends à une remontrance pour les avoir gardés si longtemps, mais personne ne me dira rien.
Ainsi, je témoigne auprès du Cardinal Lustiger que mettre ces Jeunes en présence de Jésus par l’Adoration Eucharistique est une catéchèse excellente.
Cela vaut toutes les meilleures Catéchistes du monde, car c’est Lui, Jésus, le seul Educateur !
Aussi, je conclus en proposant au Cardinal Lustiger que l’Église Catholique invente des JMJ pour les adultes, car le Jubilé a remis debout des centaines de pèlerins.
Des personnes qui ne s’étaient pas confessées depuis très longtemps : quarante ans pour certaines !
Et ô miracle, il me remercie et me félicite !
Mais, je suis abasourdie car je ne m’attendais pas à une réponse pareille. Ma main droite est prise d’un tremblement nerveux que je ne peux pas maîtriser et qui m’empêche de finir mon dessert. J’ai le choix entre ne pas finir mon dessert et passer pour une impolie ou envoyer le dessert dans l’assiette de notre Évêque qui est presque en face de moi. Le choix est rude.
Mais je pense que Monseigneur Brincard a vu cette situation de détresse, car il a fait applaudir les Serveuses, ce qui a permis à ma main de retrouver sa mobilité et j’ai pu finir ce bon dessert.
En sortant, le Vicaire Général, qui nous raccompagna parce que le Cardinal et l’Evêque s’étaient échappés rapidement, me congratule car je suis la seule à avoir été félicitée par le Cardinal Lustiger.
Je lui réponds :
« Père, c’est normal car lorsqu’on fait passer Jésus devant soi ; on reçoit des cadeaux ». Je n’ai pas réfléchi à ma répartie.
Cette réponse du prélat m’a surprise et m’a confortée
que l’amour de Jésus et du prochain vont bien de pair.
L’amour seul donne un sens à sa vie.
A ceci nous avons reconnu l’amour :
« Celui-là a donné sa vie pour nous ».
(1 Jn, 3, 16)[1]
[1] cf. Une Hospitalière raconte... Editions Bénédictines, 2011
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